Une barque en voie de célèbrité

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Cette barque installée dans la série de photos intitulée « Les oiseaux »,
est l’heureuse élue d’un spectacle poétique ou « poème scénique« 
intitulé « Trembles » d’après le livre « Les Oiseaux » du norvégien Tarjei Vesaa,
spectacle mis en scène par Arlette Desmots
et qui a été joué au théâtre « Berthelot » de Montreuil du jeudi 17 au samedi 19 mars 2016.

Cette barque après être disparue physiquement depuis longtemps
– comme la plupart des barques du golfe du Morbihan en voie d’extinction –
s’est trouvée un refuge de choix en première page du programme de ce poème scénique.

Non seulement elle est une parfaite porte-parole de ce qu’ Arlette Desmots nous dit dans son dossier de création :

Ce texte respire la poésie et la liberté des grands espaces norvégiens.
Nous cherchons à convoquer dans le noir du théâtre, les grandes forces de la nature, mystérieuse et toutes puissantes.
Nous souhaitons que l’imagination des spectateurs soit guidée vers des « sensations de paysage » visuelles, lumineuses et sonores.
Nous créons un espace sensible et non-figuratif évoquant tout autant les espaces extérieurs de la nature et les espaces intérieurs de l’âme humaine.

mais encore elle apporte sa présence à un des sens profonds du spectacle,
puisque le personnage principal Mattis, en mal d’insertion sociale,
décide de choisir un jour, la fonction mythique et la plus hautement spirituelle,
de passeur sur une barque,
qu’il manie lentement dans la plus grande élégance,
afin que nos âmes figées dans la dureté d’un monde devenu de plus en plus matérialiste,
puisse subrepticement sentir la caresse de l’Autre Rive, entre deux chants d’oiseaux.

Lovée dans une légère brume du matin, cette barque, en sa beauté longiligne,
avec l’oiseau juché sur sa proue, comme un capitaine connaissant  parfaitement le chemin,
cette barque attend patiemment son passeur,
pour ouvrir une brèche de lumière dans notre monde intérieur.

 

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Supplication

Oh ! barque
je t’en supplie
emporte moi dans ton sillage !

Je veux m’en aller avec toi
pour traverser le grand fleuve;

bien posé sur ta banquette arrière
délesté de tous mes soucis
je serai en sécurité
sûr d’arriver à bon port.

Je sais que tu connais parfaitement le chemin
menant à ce grand temple
situé sur l’autre rive,

là m’attend un groupe de vieux sages
au sourire élargi

pour me montrer la claire lumière.

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Dans le berceau de la brume

Dans le berceau de la brume
aux premiers jours du monde

surgissent du néant
quelques barques silencieuses
délicatement disposées sur l’onde

elles ravivent le souvenir
de notre origine cotonneuse
quand les formes n’étaient pas distinctes

quand l’unité primordiale
nous protégeait de sa douceur
contre l’horrible dispersion.

11

Ne vous y frottez pas !

Elle est tapie dans le sable
comme un insecte redoutable
prêt à fondre sur sa proie.

Surtout ne vous y frottez pas,
ne la touchez pas !

elle vous réserve toujours un vieux clou tout rouillé
pour vous inoculer un poison mortel
-l’antidote n’existe pas-

Vous êtes condamné à mourir lentement
étouffé dans son ventre noir.

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La sexualité des barques

La sexualité des barques est étrange,
elle ne demande qu’à s’éveiller.

Quelquefois je prends mon crayon noir le plus tendre
pour dessiner avec application
une barque en attente :
je m’attarde sur la courbe délicate,
souligne la ligne de flottaison,
caresse le galbe de la coque;
je sens ma barque qui frissonne,
elle commence à s’agiter
se tournant vers moi toute offerte
pour me présenter son meilleur côté,
je soigne alors ses zones érogènes
titillant avec délicatesse
l’humidité de sa proue;
ma barque se balance alors rythmiquement
traçant dans l’eau de grandes spirales
où je m’engouffre délicieusement
pour receuillir son orgasme.
La sexualité des barques est étrange,
elle ne demande qu’à s’éveiller.

09

Les barques bleues

C’est le coin des barques bleues
bleu comme le bleu de toutes les mers réunies

bleu à satiété,
bleu à s’enivrer,
bleu à chavirer de joie dans les tempêtes,
bleu de la solitude étincelantes
face au ciel sans limite,
bleu de la fierté des hommes du désert
quand ils cheminent dans le sable
avec pour seule arme leurs prières,
bleu comme le regard d’une femme croisée à la sauvette dans la foule
et qu’on n’oubliera jamais,
bleu comme la tendresse au fond du lit
avec des « je t’aime » à la folie,
bleu comme la prouesse d’un ciel qui clame à gorge déployée
ses grand nuages déchirés,

c’est le coin des barques bleues,
bleu comme le bleu de toutes les mers réunies.

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Un grand maître

Les barques sont parfois de grands maîtres
elles vous attirent de leur étrange sourire
une clarté émane de leur présence.

Il faut s’asseoir alors près d’elles
en silence
se recueillir.
Quelquefois
après une longue attente
elles se mettent à vous parler
elles vous enseignent l’immobilité de la posture
le souffle régulier au rythme du ressac
l’assise de la coque bien posée sur l’onde.

Vous ressentez alors un parfum de bien-être
une chaleur à l’endroit du coeur
vous êtes encerclé d’une aura de lumière,
les barques sont parfois de grands maîtres…

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L’anonyme

Celle-ci est anonyme
à l’écart
tout au fond du golfe,
éternellement elle se mire
dans le miroir profond de la mer.

Elle n’appartient plus à personne,
elle est passée de l’autre côté
presque invisible
dans l’immobilité.

Elle médite paisiblement
au rythme hypnotique des vagues
sur l’impermanence de la vie

l’inconstance des hommes
accrochés sur leur rive.

06

Mathurin

Mathurin
c’est quelqu’un de bien
sur qui on peut compter !

il vous aide
à traverser le grand fleuve
en toute sérénité
c’est presque un plaisir de ramer à ses côtés !

Il vous choisit toujours avec attention
des petites îles sur mesure
pour un séjour délicieux
avant de vous réincarner.

Mathurin
c’est quelqu’un de bien
sur qui on peut compter !

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Les bidets flottants

Elles sont arrivées
les nouvelles barques de plastique
elles déferlent sur le quai
ce sont des clônes de couleurs criardes
dotés d’un matricule

elles ressemblent à des « bidets flottants ».

Posées là
toujours bien en vue
fières d’êtres laides et de l’afficher
elles aiment parler fort
foot, film et télé

elles sont pratiques et vulgaires
sûres d’elles-mêmes
et du progrès