Après la poésie du désastre, la poésie de la guérison est nécessaire,
pour nous préparer à la métamorphose,
comme le dit si bien Edgar Morin.
La guérison s’invite sous la métaphore de la promenade…
Promenades
A l’origine il y a le Vide
A l’origine
il y a le Vide
le Vide lumineux
dont on voit quelquefois la lumière
dans le regard de certains promeneurs
à l’origine
il y a le Vide
le Vide lumineux
et du Vide est née la promenade
la promenade de la vie
en son chatoiement
infini
loin derrière le Vide
et la création des choses
vient le verbe
toujours en retard
avec son babillage illusoire
sa raison desséchée
avide de tout disséquer
de tout fragmenter
la promenade n’a rien à voir avec le verbe
la promenade appartient résolument au Vide
La vie est une promenade
entre Vide et Vide
mais elle est devenue
une course
une course folle
quel dommage
à la lisière de la vie
entre deux mondes
du côté du Vide
flâner
flâner dans l’instant présent
tel est le chemin abrupt
de la promenade
car la promenade se plait
à creuser le silence
en direction du Vide
parfois le chemin devient un fil d’or
une guirlande de lumière
s’élevant dans le ciel
ce qui permet à la promenade
de rejoindre le Vide
en silence
dans l’humilité du chemin
travailler à l’effacement progressif de soi-même
visiter ce passage délicat vers le rien
cette mystérieuse disparition du moi
en direction du Vide
telle est l’essence de la promenade
la promenade de la vie
va du Vide au Vide
pourquoi tant d’inquiétudes
tant de brouhaha
de questionnement
de désarroi ?
La promenade de la vie
va du Vide au Vide.
L’esprit de la promenade
la promenade est solitaire
elle exècre les déplacements grégaires
les départs en masse à grande vitesse
les hordes touristiques dévalant vers les plages
la promiscuité des foules serrées sur ses trottoirs
La promenade est solitaire
elle préfère les sentiers à l’écart
les rivages les plus reculés
les chemins oubliés
la promenade est solitaire
elle refuse les boulevards
les vitrines encombrées de victuailles
les lumières factices du samedi soir
l’obscurité des foules futiles
la promenade est solitaire
elle choisit les sentiers à l’écart
les rivages les plus reculés
les chemins oubliés
La promenade ne sera jamais une science
elle ne se prend pas assez au sérieux
elle n’est d’aucune prétention
d’aucune rigueur
les mots de la promenade sont simples
humbles
des mots de tous les jours
des mots ordinaires
le contraire d’un langage expert
se donnant de grands airs
la promenade ne sera jamais une science
impossible d’étudier ses connexions neuronales
de mesurer sa pure joie d’être
de valider son bonheur
La promenade ne sera jamais une science
mais il est vivement recommandé aux chercheurs
de se promener après chaque expérience
pour accéder aux hypothèses les plus libres
les plus audacieuses
promenade
sur le chemin de terre
juste un petit tour offert
avant de s’en aller
il est recommandé de s’émerveiller
devant le ciel déployé
de célébrer le parfum des fleurs
le frissonnement des arbres
sinon souffrances
sinon recommencer
encore et encore recommencer
pour apprendre la leçon
du chemin de terre
apprendre
la promenade
se promener
sans laisser de trace
en effleurant la terre
se promener
sans le désir de prendre
sans vouloir posséder
sans s’attacher
se promener
sans propriété
sans fils de fer barbelés
sans mur et sans forteresse
sans fossé ni rempart
se promener
sans limite
sans territoire
sans frontière
se promener
du pas délicat de la promenade
en effleurant la terre
sans laisser de trace
désapprendre
désentreprendre
se démettre
se détendre
vivre de plus en plus simple
de plus en plus clair
dans le silence
activité principale :
la promenade
objectif :
la plénitude de l’être
oublier la vieille histoire de l’homme pressé
de l’homme fiévreux
empêtré dans ses villes
oublier le vieux combat de tous contre tous
pour la possession des choses
s’adonner enfin à la promenade
sans restriction
immodérément
à satiété
quand tous les hommes
seront à la promenade
alors
ce sera l’âge d’or
le paradis sur terre !
Promenade mode d’emploi
La promenade se fait de préférence
pieds nus
délicatement posés sur le sol
la tête est vide
ou dans les nuages
la tête est vide
si des pensées font irruption
le promeneur les regarde en face
silencieusement
jusqu’à leur disparition
dans le ciel
à la suite des nuages
puis l’attention se tourne de nouveau
vers le déroulé du pied
le contact tendre de la terre
la promenade
c’est tout le temps
partout
à tout propos
sauf le dimanche après-midi en famille
avec les enfants traînant des pieds
et le landau à pousser dans le square
la promenade
c’est tout le temps
à chaque instant
au moindre prétexte
le long d’un chemin côtier
dans l’ovation de la mer
ou sur les trottoirs de la ville
parmi la foule des gens pressés
la promenade est un art
elle se prépare longtemps
pendant de nombreuses vies
ce lâcher-prise
cette détente profonde
cette distanciation aux choses
la fusion avec la nature
tout cela demande une longue préparation
moines errants, sannyasins, vagabonds et pèlerins
roms, gitans, nomades et bohémiens
sont les activités nécessaires
à cet apprentissage rigoureux
la promenade est un art
elle se prépare longtemps
pendant de nombreuses vies
le citadin, le sédentaire, le propriétaire,
le possesseur, le profiteur, le compétiteur
n’ont aucune chance d’en connaître les saveurs
ils sont condamnés à la souffrance
aux pesanteurs de la matière
à la malédiction du confort
bien sûr, le promeneur ne travaille pas
ou si peu…
le travail est contraire à la promenade
c’est une contre-indication majeure
le promeneur évite donc soigneusement
l’étroitesse des bureaux
où s’encage le travail
dans ses vêtements de bure
et s’il lui arrive parfois de travailler
c’est encore à la promenade
de manière désinvolte
libre de ses horaires et de ses engagements
toujours prêt à prendre congé
pour aller se promener
du travail
le promeneur se fait souvent exclure
pour son inefficacité insolente
son indifférence aux ardeurs de la compétition
son indolence son oisiveté
comme il ne fait aucun bruit
ne fomente aucune révolte
ne cherche à convaincre personne de sa vérité
le promeneur échappe aux persécutions
il traverse en douceur
les obstacles et les révolutions
mais la beauté de sa posture
l’élégance de son pas
en arrivent à séduire quelquefois
certains ou certaines…
non point que le promeneur soit un séducteur
mais parce que la promenade est dans son être-même
la séduction ultime
le sac du promeneur est toujours léger
rempli du strict nécessaire
la promenade est une sorte d’ascétisme volontaire
un désintérêt pour le superflu
le contraire de ce règne de l’abondance
où les gens se trainent lourdement dans les aéroports
encombrés de leurs valises
le sac du promeneur est toujours léger
aucun appareillage compliqué
aucune technique de pointe
juste une bonne paire de chaussure
un imperméable pour la pluie
et au fond de sa besace
un carnet pour prendre note
de l’émerveillement quotidien
le sac du promeneur est toujours léger
la promenade ne supporte aucune concession vulgaire
pas de baladeur ni de portable
pas de podomètre de GPS ou d’internet
la promenade n’a pas besoin de prothèse
elle est irréductible à la technologie
trop occupée d’honorer l’être
en sa simplicité
le promeneur n’aime pas les promenades virtuelles
dans les méandres du web
il lui manque la sensorialité du corps
la luminosité du ciel
les rugosités de la terre
plutôt que de s’enfermer dans la cécité
de tous ces écrans
le promeneur préfère sortir dehors
n’importe où
sentir le contact ferme de ses pas
sur le sable de la plage
ou sur le pavé des villes
le promeneur ne s’encombre jamais longtemps
d’un problème
à l’aide de sa respiration
il sait l’évacuer dans la promenade
en le laissant glisser doucement le long du corps
jusqu’au sol
le problème s’enfonce alors profondément
dans la terre
où le dragon des illusions
le dévore
le promeneur ne s’encombre jamais longtemps
d’un problème
quand le promeneur se met à parler
il aime s’entretenir avec les anges, avec les fées,
les lutins, les gnomes, les elfes et les feux-follets
tous ces esprits de la nature
injustement dédaignés
le promeneur expérimente aussi avec bonheur
la télépathie
la clairvoyance, la prophétie
le dialogue avec les arbres et les oiseaux
les vagues et les rochers
le ciel et ses nuages
tout cela le nourrit
le maintient dans sa joie
son allégresse
le promeneur est toujours en parfaite santé
le corps respire avec amplitude
les mouvements sont déliés
l’oxygène irrigue généreusement les organes
l’émotion se nourrit à la joie du moment présent
les pensées sont pacifiées
par le rythme régulier des pas
la conscience est au zénith
dans la complicité du soleil
l’énergie du ciel reliée à celle de la terre
irrigue le corps en permanence
pour entretenir sa fluidité
la promenade des caresses
est un sommet de la promenade
elle se pratique à deux
au fond d’un lit
immodérément
même pendant la nuit
dans le sommeil
au milieu des rêves
la promenade se poursuit.
Poésie de la promenade
En cette époque contaminée de prose
où les mots s’accumulent pêle-mêle
comme des pas perdus
égarés dans les halls de gares
les soirs de grand départ
la promenade à l’écart
est soeur de la poésie
ce mot « promenade »
est le plus beau mot de la langue française
car il n’appartient pas vraiment au monde des mots
il a été inventé pour échapper
au labyrinthe des pensées
à la prison des concepts
il vous emmène au grand air
sur les chemins de traverse
à l’écart
cheveux au vent
au milieu des fleurs
les arbres
tous les arbres saluent bien bas le promeneur
ils savent que de lui
ils ne risquent rien
ils savent la sagesse de ses pas cadencés
son admiration sans borne
pour leur feuillage
ils ressentent la douceur de sa marche
les effluves de son poème
en promenade
surgit souvent au détour du chemin
une inconnue
s’avançant à votre rencontre
d’un pas léger
c’est une sorte de déesse tutélaire
veillant sur vous
pour vous aiguillonner au désir
de continuer le chemin
malgré son absence
car elle disparait mystérieusement
sitôt que vous l’approchez
des chalands désoeuvrés
s’en vont d’un pas chaloupé
sur la berge
là où la promenade devient intérieure
des vélos glissent silencieusement
dans les méandres de la route
on entend au loin le rire d’une jeune fille
à fleur de peau
le sifflement d’un train qui passe
pressé de sa destination
le glissement des nuages
sur le ventre de la mer
la nuit s’avance avec son noir d’encre
reléguant toutes choses en leur absence
alors la promenade pousse la porte
sort de chez elle sans bruit
sous les étoiles
veiller silencieusement
sur ces temps endormis
juste passer
sans bruit
sans laisser de traces
juste passer
à la promenade
subrepticement
en abandonnant au vent du large
quelques poèmes fugaces
griffonés à la hâte
de la fumée de mots
pour faire rire
les oiseaux
le promeneur ressemble aux nuages
il disparaît souvent mystérieusement
à l’horizon
il s’évapore en cours de route
toutes les recherches sont vaines
pour le retrouver
de lui
il ne reste qu’un poème
abandonné sur le chemin.
Vers l’Autre Rive
Quand vient l’heure
du passage
vers l’Autre Rive
j’aimerais me souvenir
de mes promenades
de toutes mes promenades
j’aimerais surtout me souvenir de ces promenades
le long du rivage
pieds nus sur la plage
au rythme profond des vagues
avec des vêtements d’algues et de coquillages
et les traces de mes pas
artistement dessinées
dans le sable
j’aimerais me souvenir de ces promenades
dans la forêt
à l’aube des clairières
dans l’exaltation des arbres et des fruits
le frémissement des herbes
dans la touffeur humide des taillis
j’aimerais me souvenir
de ces promenades sur la montagne
à l’approche des cimes
quand tout se couvre du silence
de la neige
un jour
lassé de tout ce charivari
partir à la promenade
là-bas
de l’Autre Côté
derrière l’horizon
un jour
se sentir prêt
pour l’ultime promenade
celle dont on a pressenti parfois
le parfum
sur les sentiers intérieurs
un jour
dans une longue expiration
faire le grand pas
avec légèreté
comme à la promenade !
quand vient l’heure du passage
vers l’Autre Rive
la promenade ne quitte pas son chemin
elle ne s’arrête pas
juste un changement de décor :
le sol devient aérien
il n’y a plus de silex pour se blesser les pieds
l’espace s’ouvre largement sur l’infini
les pas sont les pas de l’âme
les semelles sont de vent
le corps se sent des ailes
il n’y a plus de direction possible
aucune carte pour se repérer
rien que des volutes de nuages
insouciants
et une spirale de lumière
par où s’élancer
un jour
quand tu es prêt
commence l’ultime promenade
elle se fait souvent
au fond d’une barque en bois
qui vous attend au bord d’un fleuve
ou sur une plage désertée
en compagnie d’un passeur avisé
connaissant bien toutes les difficultés
les écueils du passage
il vaut mieux s’être préparé
sur les chemins de terre
longuement
à cette ultime promenade
pendant la traversée
le passeur vous demande parfois des comptes
sur cette promenade de votre vie passée
avec vous il visite avec bienveillance
toutes les erreurs toutes les errances
de ce chemin des illusions
de manière à mieux comprendre
cette leçon difficile
de la promenade
sur terre
il est facile pour le promeneur entraîné
de trouver le chemin conduisant
à l’Autre Rive
c’est une brèche de lumière
s’ouvrant dans le ciel
subrepticement
entre les nuages
c’est un rayon d’or torsadé
se déroulant délicatement
sous les pas
c’est un fleuve
avec des courants lumineux
des remous argentés
quand le détour de la vie
sur terre
s’en est fini
chacun retourne
là-bas
de l’Autre Côté
du pas de la promenade
sans se presser
vers le Vide
le Vide lumineux
dont il vient
et qu’il n’a jamais
vraiment quitté.