Yves Bonnefoy n’est pas un de mes poètes préférés,
mail il faut lui reconnaître un intérêt constant pour les barques,
comme en témoignent ces passages tirés de son oeuvre :
La longue chaîne de l’ancre
« On dit
Que des barques paraissent dans le ciel,
Et que, de quelques unes,
La longue chaîne d’ancre peut descendre
Vers notre terre furtive.
L’ancre cherche sur nos prairies, parmi nos arbres,
le lieu où s’arrimer,
Mais bientôt un désir de là-haut l’arrache,
Le navire d’ailleurs ne veut pas d’ici,
Il a son horizon dans un autre rêve (…)
Pourquoi faut-il
Que quelque chose en nous leurre l’esprit
Dans cette traversée que la parole
Tente, sans rien savoir, vers son autre rive ?
Les planches courbes
L’homme était très grand, qui se tenait sur la rive,
près de la barque. La clarté de la lune était derrière lui, posée sur l’eau du fleuve.
A un léger bruit l’enfant qui s’approchait, lui tout à fait silencieusement,
comprenait que la barque bougeait, contre son appontement ou une pierre.
Il tenait serré dans sa main la petite pièce de cuivre.
L’enfant s’était approché du passeur qui maintenant se taisait,
il entendait sa respiration égale, lente. « Je dois passer le fleuve, dit-il.
J’ai de quoi payer le passage ».
le géant se pencha, le prit dans ses vastes mains, le plaça sur ses épaules,
se redressa et descendit dans sa barque, qui céda un peu sous son poids.
« allons, dit-il. Tiens-toi bien fort à mon cou ! »(…)
le passeur put prendre alors la perche à deux mains, il la retira de la boue,
la barque quitta la rive, le bruit de l’eau s’élargit sous les reflets, dans l’ombre.
ce qu’il faut savoir, c’est que la barque semble fléchir de plus en plus sous le poids
de l’homme et de l’enfant, qui s’accroît à chaque seconde. Le passeur peine à la pousser
en avant, l’eau arrive à hauteur du bord, elle le franchit, elle emplit la coque de ses courants,
elle atteint le haut de ses grandes jambes qui sentent se dérober tout appui dans les planches courbes.
Dans ce recueil « Les planches courbes », il s’agit bien sûr des planches courbes servant à construire la carène des barques et le recueil est truffé d’allusions à la barque :
« Passaient dans leur sommeil des souvenirs
Comme des barques dans la brume, qui accroissent
Leurs feux, avant de prendre le haut du fleuve. »
« Mais le soleil du soir, la barque des morts,
Touchait la vitre, et demandait rivage. »
« Je me lève, je vois
Que notre barque a tourné cette nuit.
Le feu est presque éteint.
Le froid pousse le ciel d’un coup de rame »
« Elle chantait, mais comme se parlant :
Qui a tiré sa barque sur la rive,
Qui a posé sa rame sur le sable,
Qui est passé, que nous ne savons pas ? »
« Les planches de l’avant de la barque, courbées
Pour donner forme à l’esprit sous le poids
De l’inconnu, de l’impensable, se desserrent. »
« Or dans le même rêve
je suis couché au plus creux d’une barque,
Le front, les yeux contre ses planches courbes
Où j’écoute cogner le bas du fleuve.
Et tout à coup cette proue se soulève,
J’imagine que là, déjà, c’est l’estuaire,
Mais je garde mes yeux contre le bois
Qui a odeur de goudron et de colle. »
Dans un interview récent du journal Le Monde (12/11/2010), Yves Bonnefoy saute encore sur l’occasion pour faire référence à la barque :
« A bord de la barque, dans la tempête, mieux vaut ne pas s’inquiéter de l’horreur des hautes vagues, décider plutôt que cette barque, c’est l’être même qu’il importe de préserver. »