08

Un fax sur le télécopieur

La mer me fait des risettes
imperturbable
de ses petites vagues malicieuses.

Un fax sur le télécopieur

Pour faire le sacrifice de ces instants bleus
il faut savoir mourir à ses rêves les plus chers,
se dénuder de ses fantasmes,
faire le deuil de ses sanctuaires.

Un fax sur le télécopieur

Pour te rappeler à l’évidence
que le seul sanctuaire possible
se trouve à l’intérieur de toi-même
en ce vide aux alentours du coeur.

Un fax sur le télécopieur

le voyage n’est qu’un long détour
pour te rejoindre toi-même ;
le moment du plus grand courage
reste celui du retour.

Un fax sur le télécopieur :

« il te faut rentrer
au plus vite ! ».

07

Je ne montais plus au monastère
que pour le seul plaisir de redescendre tout de suite
en pétaradant sur ma vespa,

léger,
sans penser au lendemain,
avec la fraîcheur de l’air sur ma peau
et toutes ces étoiles riant dans la nuit.

Peu à peu je m’allégeais de toutes mes attentes
et de mon avidité.

Le mutisme de cette forteresse austère
repliée sur ses souvenirs,
la gesticulation désarticulée de ses moines
me donnait le dégoût de tout sanctuaires.

Il n’y aurait plus de prophétie
proférée à Patmos.

06

Le tourisme étendait lentement ses affaires
sur les paysages les plus beaux, sur les lieux les plus sacrés
dans l’endormissement de ses tentations faciles.

Là-haut les moines tenaient boutique
sans trop se poser de question sur le sort du monde ;
ils passaient chaque matin leur barbe au peigne fin
d’un air satisfait.

J’étais à la recherche d’un coin bien à l’écart
pour m’enfoncer dans le silence
face au bleu de la mer et du ciel emmêlés.

Je n’attendais plus de révélation,
mais seulement sentir sur ma peau
l’imperceptible caresse d’un autre monde,
nous enveloppant de sa présence
pour nous sauver à chaque instant
de notre maladresse.

De cette sensation, je n’attendais rien,
qu’un sourire sur mon visage pour effacer les rides,
une détente pour prolonger la promenade.

Et de mes rencontres à l’improviste avec les humains,
je souhaitais seulement déclencher
un grand rire.

05

L’île étendait ses méandres et ses presqu’îles
comme un octopus ses tentacules
dans le grill du soleil.

Un monastère en forme de forteresse
se refermait sur son secret
dans un mutisme obstiné.

Quelques moines se composaient des visages graves
pour balancer l’encensoir d’un geste lascif,
sussurrant des mélopées ennuyeuses
devant les touristes qui baillaient.

La tentation est grande alors
de proférer des menaces,
de vociférer des malédictions,
d’écrire des apocalypses
pour ce vieux monde qui résiste
crispé sur ses acquis.

Il est revenu le temps d’abattre toutes les forteresses :

« Dehors les chiens et les magiciens,
les impudiques et les meurtriers,
les idolâtres et quiconque aime ou pratique
le mensonge. » Apocalypse 22

04

L’immobilité douce du soir proclame son silence,
la nuit tombe lentement comme une caresse
en me chuchotant ces pensées :

« le regard de la création sur elle-même,
c’est la conscience humaine
quand elle se fait transparente,
traversant l’incontournable souffrance
dans un imperceptible sourire.

Peindre,
c’est aller vers la simplification ,évidente du réel,
comme on allège peu à peu sa vie
dans la recherche de l’essentiel,
en s’arrachant douloureusement
à toutes les illusions.

La complexité du monde actuel
n’est qu’un détour du mental
égaré dans ses méandres.
L’unité du monde est simple
comme le ciel se mêlant à la mer
dans l’ouverture du coeur.

Partout des insectes minuscules
trouvent des solutions
aux problèmes les plus difficiles,
nous rappelant à l’humilité. »

03

C’est là que Jean dictait l’Apocalypse à son disciple,
assis sur une encoche faite dans la pierre :

« Moi, Jean, je me trouvais sur l’île de Patmos,
quand j’entendis derrière moi une voix
clamant aussi fort qu’une trompette :
écris ta vision dans un livre
que tu enverras aux sept églises … »

Maintenant les prêtres se sont emparrés du lieu
pour agiter l’encensoir et gesticuler
devant le peuple qui les regarde d’un air niais.
L’air est vicié,
les barbes sont postiches,
le rituel sec comme du bois mort,
suinte désespéremment l’ennui.

Je m’échappe pour la plage
vers le soleil,
je préfère les dieux païens du farniente
se prêlassant nus
dans l’étincelance de l’instant.

02

Larguer les amarres,
un coup de sirène qui libère.
Les voyageurs sont près de toi
pour applaudir à l’appareillage.
Quitter enfin ce quai et tout son tintamarre !

L’étrave du vapeur dessine son sillage.
La vie est ce jeu fluide au milieu des vagues,
une escorte de goélands te font des signes en riant.

Les hommes sont là avec leurs femmes,
les vêtements sont frippés et les visages aussi,
les vieilles ont ces ventres difformes qui ont trop enfanté,
les hommes sont graisseux, leur regard est tenace,
toujours prêt à donner de la voix pour se chamailler,
mais leur courage est immence,
celui de survivre contre vents et marées.

Quelques filles posent pour la photo avec leurs fiancés,
lunettes noires et longs cheveux emmêlés,
le plaisir à fleur de peau
avide de vivre et de procréer.

Tu regardes, tu prends note
tu voudrais tout dire de cet instant qui s’étire
dans la lenteur du grand vapeur.
Tu te prends pour Henry Miller ou Blaise Cendrars,
des poèmes pleins la tête
à la gloire de ce monde
inondé de mer,
aspergé de soleil.

Trop de rêves, sans doute,
est-ce bien sérieux ?
Le pragmatisme de l’époque te demandera des comptes :
« Rêveur,
quel est l’efficacité de ton poème ? »

01

Une bouffée de vent chaud et de poussière.

Le ciel répand tout son bleu.
Quelque chose me picote du côté de la vie,
j’ai envie de sourire au premier venu.

Le taxi en veut à mon argent,
mais ce n’est pas grave,

la foule est encore plus furieuse de vivre ici
dans l’excitation du soleil.

J’ai envie de remercier
pour cette longue promenade protégée de ma vie,
cette poudre de rêve poursuivant à l’écart
son voyage nomade.

Ouzo, tu oses
et tu ressens la plante de tes pieds
en montant les marches de l’Acropole.

Légèreté d’être nulle part,
liberté de ne rien saisir
pour affirmer ton pouvoir.
Volatile voyageur,
fumée de ta vie qui passe !

Tu t’apprêtes à l’offrande des poèmes
pour ce dieu qui te protège
en t’invitant à ce voyage.

00

Depuis longtemps déjà,
je caressais ce rêve
d’aller vagabonder dans l’île de Patmos.

Il y a deux mille ans,
Jean, l’apôtre préféré, vint s’y réfugier
pour échapper aux cruautés
d’un monde en perdition

et recevoir les paroles de l’Apocalypse.

Je caressais ce rêve d’y puiser moi aussi
quelques prophéties,
pour éclairer les doutes
d’une époque qui n’en finissait plus

de ne pouvoir mourir.