Propos sur la peinture

propos-peinturePeindre
c’est aller vers la simplification du réel
comme on simplifie et allège sa vie
dans la recherche de l’essentiel,
en s’arrachant peu à peu à toutes les illusions inutiles
à toutes les illusions superflues.

Peindre
est le prolongement de la méditation
les yeux grand ouverts,
écrire est le prolongement de la méditation
les yeux fermés.

Peindre comme une absolue nécessité
pour célébrer à sa manière
la perfection du monde et de sa nature
comme une prière
comme une action de grâce
une célébration.

Peindre
quand les mots ne sont plus nécessaires
peindre dans le silence de l’émerveillement
au delà des mots.

Peindre
c’est arrêter enfin la course
s’immobiliser,
tirer sa révérence
devant la beauté de la nature ;
écrire au contraire
c’est continuer la course de la pensée
courir après les mots
le torrent des mots inutiles.

Dans le vide vacant
bourré de lumière :
peindre
retrouver le geste sûr du divin
quand il trace l’épure du monde
les grandes lignes de la création
dans le vide vacant,
bourré de lumière.

Peindre
c’est se mettre face à la nature
à l’école de la nature,
en plein air
en pleine respiration
et laisser le souffle primordial
conduire le trait du crayon, le délié du pinceau
pour tenter de rendre compte
de l’émerveillement originel.

Peindre sur le motif
dehors, en plein vent
à l’écart,
tirer sa révérence devant la beauté du monde,
se prosterner face à l’immensité du réel.

Pour montrer la lumière qui sourd de partout
par en dessous des formes,
je ne vois que l’aquarelle,
les transparences de l’aquarelle.
Pour exprimer le silence autour des mots
je ne vois que le haïku.

L’aquarelle c’est le haïku de la peinture :
juste rendre compte de la plénitude de l’instant présent
de manière fugace
de manière légère
en transparence
dans la vacuité originelle :
c’est le mode minimaliste de la peinture,
le contraire de l’empâtement de la matière.

Du Vide lumineux primordial
surgissent des formes éparses et harmonieuses ;
et l’aquarelle est le meilleur moyen
pour rendre compte de ce Vide lumineux d’où surgissent les formes,
l’aquarelle en sa transparence…
Je ne vois nulle part ailleurs, dans les autres moyens d’expression, cette transparence,
sauf dans les ciels de Nicolas de Staël qui emmènent loin là-bas, de l’Autre Côté.

Peindre l’inachèvement formel de ce monde,
d’où sourd parfois des ruissellements de lumière.

« Ce n’est pas à l’oeil, c’est à l’esprit
que le peintre de génie désire s’adresser. »
Mark Rothko

A l’origine il y a la peinture expression première de la beauté chez l’homme,
– voir les couleurs déposées sur les parois de la grotte de Lascaux.
La photo est une décadence,
voire une dégénérescence de la peinture,
c’est un pseudo-art pour gens pressés et technicisés.

La peinture aussi est technique
mais elle sous-tend une sorte de libre arbitre de l’artiste,
une maîtrise de la technique picturale,
explorant de sa main le champ des possibles de la beauté visuelle.

En ce sens, la peinture reste humaniste ou tout simplement humaine,
tandis que la photo a déjà un pied du côté du « Transhumanisme »,
car sa technique de plus en plus sophistiquée, domine complétement le photographe ;
sa liberté est toujours plus réduite,
et c’est l’intelligence artificielle de l’appareil qui prend la photo.

La peinture apparait alors comme une sorte de résistance ultime
à la main-mise de la technoscience dans le domaine de la création artistique.