La poésie, c’est le langage originel,
proche du silence,
avant la prolifération bruyante des mots.
La poésie c’est le retour à l’Origine, à la Source,
elle aide à cette involution si nécessaire actuellement
pour l’évolution de la conscience humaine.
La poésie, ce sont des mots qui conduisent en deça et au delà des mots,
là où le blanc de la page
et les silences d’une lecture inspirée
sont essentiels.
La poésie se lit lentement, très lentement,
les yeux fermés avec des pauses de silence,
en relisant plusieurs fois les mêmes passages,
tout le contraire de cette prose bruyante et bavarde,
qui se lit à la va-vite,
tout le contraire de ce langage virtuel pour gens pressés
et adolescents addictifs en crise de puberté.
Quand nous en aurons assez de cette prolifération de prose sur écrans,
de cette information devenue informe par excès de formes,
de ce « cloud » épais et obscur pour nous intoxiquer de signes,
alors nous nous tournerons tout naturellement vers la poésie,
la poésie du retour à l’Origine
dont la caractéristique essentielle est le vide lumineux
représenté par le blanc de la page.
Nous avons besoin d’une poésie qui nous lave,
qui nous nettoie des errances du mental
perdu dans son labyrinthe de mots,
son magma de pensées stériles et confuses.
Nous avons besoin d »une poésie spirituelle,
simple et évidente
avec des mots sertis de lumière et de silence,
une poésie venant directement de l’Autre Monde
une poésie pleine de ce Vide de l’Ailleurs,
pour inspirer le souffle d’une création régénérante,
une poésie du silence,
avec beaucoup de pages blanches,
et des mots rares comme des éclats de cristal
sertis de lumière.
Il s’agit de déplacer l’attention des mots vers le silence :
c’est l’intention première de cette poésie spirituelle
contribuant à la mutation de la Conscience.
En ce sens le haïku,
ce poème minimaliste de la tradition japonaise en trois vers,
en représente un sommet,
mais il s’agit d’un haïku débarrassé des contraintes empoussiérées de la tradition,
un haïku étonnamment libre et décomplexé,
plein de silence, de sens et transcendance.
La poésie : les mots devenus inutiles s’envolent en fumée,
ils se dissolvent dans le bleu du ciel.
La poésie : l’âme se dénoue, se détend, se déploie
à l’horizon d’aquarelle.
La poésie : glisser insidieusement sur la pente de l’infini,
au coeur de soi-même.
La poésie : attendre patiemment ces mots qui seraient capables de contenir
tout ce silence flottant aux alentours des formes.
C’est une époque désespérément prosaïque,
à raz de terre et de ses reptations matérialistes,
dont la poésie est la grande oubliée.
Mais à la fin de ces temps étriqués,
la Poésie reviendra en force,
quand l’homme, après un long exil,
aura retrouvé sa spacieuse Demeure intérieure.
Pour le mysticisme – cette posture qui pourrait revenir en force,
vues les impasses actuelles de la pensée matérialiste scientifique et technique –
pour le mysticisme,
le seul langage possible
c’est le poème.
La prose est le langage du monde visible,
mais le monde visible est en faillite,
alors surgit l’Invisible
dans sa lumineuse évidence
porté triomphalement par la poésie.
« Meilleur que mille mots sans utilité, est un seul mot bénéfique
qui pacifie celui qui l’entend.
meilleur que mille versets de mots inutiles est une seule ligne bénéfique
qui pacifie celui qui l’entend »
(Dhammapada Les dits du Bouddha)
C’est exactement cela la poésie !
le Bouddha avait tout compris !
– d’ailleurs ses « sutras » sont tous des poèmes.
A la différence du langage ordinaire – le langage prosaïque -,
provenant d’un moi prisonnier de lui-même et de ses errances,
la poésie émane du Ciel et du Souffle de l’Esprit,
lui-même issu du Vide plénier.
Il est venu le temps de cette poésie du Souffle,
aux antipodes de cette littérature confuse pour journalistes pressés,
cette poésie qui serait une thérapie essentielle,
nécessaire à une époque privée aussi bien de Ciel que de Souffle.
Les mots du poème seront chargés de rejoindre à nouveau
cette région de l’Etre à la Source de la connaissance,
pouvant aider à une mutation urgente
de la Conscience humaine.
Une poésie spirituelle,
mais au sens de spiritus : le Souffle,
c’est à dire une poésie pour nous redonner du Souffle,
une poésie pour nous réapprendre à respirer,
loin de toute tradition, loin de toute chapelle confinée dans ses dogmes,
une poésie proche d’une certaine sauvagerie naturelle,
quand elle n’a pas été encore contaminée par l’être humain
de ses habituelles prédations cognitives.
Il y a la poésie à l’origine de ce monde :
Les Vedas, les Upanishads et la Bhagava Gita,
Le Bardo Thodol des tibétains et le Popol-Vuh des mayas,
l’épopée de Gilgamesh et la Genèse de l’ancien Testament,
le Tao tö king de Lao-tseu et les sourates du Coran, etc…
Voici venir la poésie de la fin de ce monde,
elle sera laconique, mystérieuse et cruelle,
chargée de nous guider sur le chemin du Retour
vers l’Essentiel, vers notre Demeure.
La poésie ne peut pas se prêter à cette hyper-consommation informationnelle
d’une société moribonde de la communication et du spectacle,
en ce sens elle est profondément subversive,
irrécupérable, inconsommable,
c’est un délit de la plus haute gravité
pour le conformisme des esprits emprisonnés comme des mouches
dans le bocal de la religion techno-scientifique actuelle.
La poésie est au ban d’une société à l’agonie
perdue dans sa prose confuse, ses écrans opaques, sa science matérialiste, son délire virtuel ;
la poésie est au ban de cette société à l’agonie,
mais elle en est fière !
Dans les solitudes du silence, les poussières du cosmos luminescent,
au plus profond de la nuit ovipare,
elle prépare incognito les prochaines métamorphoses de l’Esprit,
elle prépare patiemment le langage d’une mutation nécessaire de la Conscience humaine,
qui viendrait réveiller le cerveau figé comme un poing serré.
La poésie, c’est « la décroissance » nécessaire des mots,
une frugalité de l’expression artistique,
guérisseuse et rédemptrice.
En ce sens, la poésie est aux antipodes de cette diarrhée verbale,
de cette cacophonie vulgaire,
d’une société mercantile en apesanteur,
elle a été mise au ban du monde de l’édition car elle n’est pas rentable,
elle n’intéresse aucun pouvoir en place,
elle ne flatte pas la médiocrité médiatique.
Mais la poésie s’en moque,
la poésie aime s’écrire en cachette, en clandestinité,
elle prépare activement à travers toutes les manifestations de sa force créatrice,
s’exprimant partout de multiples manières,
un renouveau nécessaire des modes de penser, de vivre et d’écrire,
un souffle de l’Esprit rédempteur.
La poésie c’est le « logos » retrouvé,
tel que le concevait Héraclite, à l’origine de la culture occidentale,
c’est à dire les mots en résonance avec la Source,
les mots en reflet de l’Un,
célébrant la danse de l’Un et du multiple.
« Je suis à la recherche d’une langue
par laquelle je puisse dialoguer avec la source de l’univers
et le coeur intime de l’être humain. » Chen Zhen
L’art intégral, dont cette époque a le plus grand besoin,
permet l’accès à la Conscience du Tout
par la voie directe et non conceptuelle de la Beauté,
la poésie intégrale en est une fidèle messagère,
elle appréhende le Tout,
selon une économie de moyen
propre à enrayer tous les moteurs de recherche,
d’une époque platement mercantile, vouée à la destruction d’elle-même.
La poésie est là, fidèle au poste,
toujours prête à fêter le retour cyclique
de la Mort et de la Renaissance,
toujours prête au grand Vide de l’entre-deux,
quand les mots deviennent sertis de silence.