Ce texte est la post-face du recueil :
« poésie du désastre et de la guérison ».
Il tente d’expliquer certaines intentions
derrière les mots…
Du désastre,
depuis longtemps déjà, penseurs et philosophes en parlent,
– entre autres, Théodore Monod, Pierre Thuillier, Edgar Morin, Hubert Reeves, Jean-Pierre Dupuy, Peter Sloterdjik, Paul Virilio, Yannick Haenel, etc
Il s’agit d’un désastre collectif et planétaire,
menaçant de disparition l’espèce humaine et la planète Terre ;
il s’agit d’un désastre possible,
dont les hommes de l’époque actuelle seraient entièrement responsables.
Mais, le temps passant, nous sommes entrés insidieusement
de la possibilité du désastre à sa presque quasi-certitude,
car aucune mesure significative n’est prise,
ni par les états nationaux, paralysés dans leurs égoïsmes
et leur logique de territoire,
ni par les organismes supra-nationaux, incapables de se mettre d’accord,
ni par la prise de conscience collective venant des populations
– surtout dans les pays occidentaux –
anesthésiées et prisonnières de l’addiction à l’hyper-consommation matérielle
Nous sommes donc arrivés à un point de non-tour,
où le désastre devient de plus en plus irrémédiable, sans prévention possible,
faisant de nous des spectateurs impuissants,
figés sur nos écrans,
face aux catastrophes qui se succèdent presque quotidiennement,
dont la plus redoutable pour sa puissance de captation,
de déréalisation et de dévoiement,
se trouve être l’écran numérique,
que Paul Virilio appelle avec beaucoup de justesse la « bombe numérique », aussi dangereuse que les bombes écologiques et atomiques.
La poésie est toute désignée pour rendre compte à sa manière de tout cela,
afin de ne pas laisser le terrain au seul langage prosaïque des experts de toutes sortes,
qu’ils soient philosophes, sociologues, anthropologues, climatologues, politologues, économistes, etc…
Car la poésie est un langage suffisamment fort et libre
pour trouver une place originale de témoin de cette fin d’un monde,
de même qu’elle a été pendant longtemps le langage privilégié
de l’origine d’un monde,
ainsi qu’en témoignent les superbes poèmes des Vedas, des Upanishads,
du Mahabharata et de la Bhagava Gita, de la Genèse de l’Ancien Testament,
de l’épopée de Gilgamesh, du Popol- Vuh des mayas,
du Tao tö King de Lao Tseu et des soutras du Bouddha, etc.
Mais pour cela, la poésie doit rompre avec son côté charmant et sentimental,
qui berce les vieilles dames dans les salons huppés,
elle doit rompre avec l’egocentrisme des âmes seules et désespérées entonnant les vieilles litanies rimbaldiennes,
elle doit rompre avec les mondes imaginaires et irréels,
quand le surréalisme pouvait encore se payer ce luxe.
Forte de ces ruptures, la poésie se doit d’être le témoin
sans concession et sans fioritures,
de ce désastre s’avançant inexorablement,
pour tout détruire d’un vieux monde trop humain
qui s’embourbe lamentablement.
En cela ses seuls modèles – si modèle il y a – sont rares ;
nous pensons aux cris hallucinés et prémonitoires d’un Antonin Artaud
à la fin de sa vie,
ou « Les poèmes de la bombe atomique » du japonais Tôge Sankichi :
« pas d’autre bruit que la présence d’une chaleur à fissurer le moindre tesson de tuile,
rien d’autre ne se mouvant qu’une fumée qui monte en se dilatant
dans le ciel d’aôut éblouissant ;
il ne reste qu’un vide propre à brûler jusqu’au revers du cerveau
et à tout faire disparaître… »
Mais le rôle de la poésie n’est pas que d’être le témoin d’un désastre,
la poésie peut être aussi une force de proposition
et de préparation du prochain monde,
selon la loi éternelle et universelle de « Mort et Renaissance ».
La poésie a toute la force et la liberté d’inspiration
pour participer aux grandes lignes de cette mutation nécessaire
de l’être et de la conscience,
que les esprits les plus audacieux, les plus profonds, préparent secrètement,
au plus haut des montagnes, à la manière d’un Zarathoustra,
ou au coeur des grandes villes, dans d’étroites chambres de bonne,
à la manière d’un Maldoror,
dans l’invisibilité des minorités agissantes,
s’apprêtant à traverser spirituellement les bouleversements à venir.
La poésie se doit d’être une force propositionnelle,
afin de préparer la croissance spirituelle nécessaire,
en réponse à la décroissance matérielle encore plus nécessaire.
La poésie doit chanter avec justesse cette simplicité retrouvée
cette joie d’être,
cette plénitude du moment présent,
en ouverture transcendante,
en amour inconditionnel pour toutes les formes de la vie,
en conscience globale du cosmos,
en communion intime avec les forces régénérantes de la nature,
en altruisme et solidarité avec tous les exclus,
en verticalité avec les transparences du ciel,
en accueil de la diversité et des différences,
en méditation silencieuse sur le Vide essentiel,
en célébration silencieuse de la création.
C’est d’ailleurs pour cette raison que la promenade m’est apparue comme une activité primordiale de cette nouvelle manière d’être,
une métaphore inspirante,
pour révéler et préparer l’aube d’un nouveau monde à venir ;
la promenade aussi importante,
que toutes les disciplines de l’expansion de la conscience,
depuis les yogas, le qi gong et la méditation,
disciplines privilégiant ce retour sur soi-même nécessaire,
dans les profondeurs intérieures,
seules capables de neutraliser
cette addiction de l’activisme productif et prédateur.
En cette période confuse de fin d’un monde, de fin d’un cycle,
au milieu de toute cette matière mentale, bruyante et désordonnée,
la poésie doit pouvoir faire la différence,
entonner des chants puissants et clairs,
afin d’orienter les âmes les plus sensibles,
souvent perdues et désespérées par la progression du désastre,
et les préparer aux grandes mutations nécessaires de l’Esprit,
qui ne choisira pas forcément la forme humaine,
– telle que nous la connaissons actuellement,
munie de ce petit cerveau étriqué et archaïque
du plus redoutable des prédateurs.
Car il faudra bien un jour s’incarner autrement
et prendre les rênes de manière éclairée de cette terre chérie,
couverte des cicatrices d’une folie ancienne ;
il faudra bien un jour rêver d’une espèce délicate, sensible, amoureuse,
pleine de sagesse et de tendresse,
– en un mot poétique –
capable de guider le vaisseau terre
loin de cette violence robotique
qui nous étrangle
et nous menace.